Message in a bottle

« Tout était pour le mieux dans le meilleur des Mondes », Voltaire, Candide

Etel (France), Mars 2010

Sarah ouvrit les yeux, s’extirpant ainsi de son léger sommeil. Il ne lui fallut que quelques millisecondes de réflexion pour trouver le coupable de ce réveil brutal.

L’ennemi était de face, immobile, à quelques centimètres d’elle. Courageuse, Sarah saisit le traitre et l’envoya valser contre la porte de sa chambre. Elle s’assura bien qu’il ne bougeait plus, et surtout qu’il ne chantonnait plus sa sérénade répétitive.

« Maudit réveil ! », pensa-t-elle, avant de se diriger vers son dressing.

Elle s’empara des premières pièces potables qui lui tombèrent sous la main, et rentra dans sa salle de bain. Une longue douche et autres préparatifs rituels plus tard, une jeune fille souriante et trépignante passa la porte de la salle de bain.

Sac, ok, portable, ok, Ipod, ok, oreiller…, « tu sais très bien que je ne peux pas t’emmener avec moi… »

Elle descendit jusqu’à la cuisine, et sourit à l’odeur de pancakes et de café chaud.

« Salut Maman ! »

« Salut trésor ! Prête pour cette nouvelle journée ? »

« Mamaaaan…. »

« J’aurai essayé… »

« Enfin, tu n’as peut être pas tout à fait tort… Le prof de maths est en réunion normalement, ce qui veut dire d’une part que je ne perdrais pas, pour une fois, deux heures de ma vie, mais en plus que je termine à quinze heures ! »

« Et ? »

« Bah c’est cool, non ? »

« Il t’en faut bien peu pour être heureuse, ma fille ! »

Toutes deux sourirent, et Sarah commença son petit déjeuner. Elle s’estimait chanceuse, par rapport aux autres personnes qu’elle fréquentait, d’avoir une si bonne relation avec sa mère.

Certes, ce n’était pas comme si cela avait toujours été ainsi. En réalité, leur rapprochement avait débuté cinq ans auparavant, à la mort de James, le père de Sarah.
Agée de treize ans, la jeune fille avait retrouvé en sa mère, à qui elle ne parlait que très peu jusqu’alors, une part de cette amour que le destin lui avait arraché.
Evelyne, elle, avait alors pris conscience que cette jeune fille qu’elle connaissait à peine mais qui était pourtant sa fille, était la seule chose qui la raccrochait à la vie.
Deux ans durant, toutes deux ne se lâchèrent pas d’un pouce, comme si chacune d’elle n’avait plus rien au monde, si ce n’est la présence de l’autre. Elles apprirent à se connaître, jusqu’à arriver à un niveau de complicité nettement supérieur à la moyenne.

Sarah termina son verre de jus de pamplemousse et le posa dans l’évier.

« Est-ce que Jake passe te prendre ? »

« Hmm, c’est prévu, oui. Mais il ne m’a pas dit vers quelle heure. »

Quelqu’un frappa à la porte.

« Je crois que tu as ta réponse. »

Sarah alla ouvrir et son visage s’illumina.

« Prête, princesse ? »

« Donne-moi deux minutes ! »

Sarah retourna à la cuisine, déposa un baiser sur la joue de sa mère, et rejoignit Jake.
Les deux tourtereaux entamèrent les quelques minutes de marche jusqu’à leur lycée.

« Des choses de prévues cette après-midi après les cours ? »

Jake sembla se plonger dans ses pensées, l’air grave.

Aussi loin que Sarah s’en souvienne, c’était ce qu’il avait toujours fait lorsqu’il était pris de court.
Elle l’avait rencontré trois ans auparavant, lors de la journée d’intégration des élèves de secondes. Ils discutèrent musique, cinéma et autres passions communes. Puis, par l’intervention divine d’une puissance supérieure, incarnée en la personne de Jenna Staber – n’étant autre que l’ami d’enfance de ladite Sarah – les jeunes gens devinrent officiellement bien plus que de simples amis.

Dans ses moments d’introspection profonde, Sarah se surprenait à penser que sa vie tendait plus vers le monde enchanté des Bisounours qu’autre chose, se considérant alors comme une petite Miss Monde bien au-dessus des tracas de la vie.

Jake sortit enfin de ses investigations cognitives, ce qui extirpa Sarah de ses propres pensées.

« Eh bien en fait,…non mais… »

« Ah bah ça tombe bien ! Monsieur Vayssette n’est pas là, ce qui fait que je termine à quinze heures, et comme toi tu n’as pas cours de l’après-midi, ça nous laisse plus de temps… », répondit-elle sur un ton débordant de sous-entendus.

Jake se mordit les lèvres.

« J’ai dit quelque chose qui fallait pas ? »

« Non,…non… Sarah,..écoute, je sais pas comment te dire ça,… mais je…m’ennuie »

L’intéressée parut quelque peu étonnée.

« Et ? Justement, je te propose qu’on passe du temps ensemble. Tu ne t’ennuieras pas comme ça. »

« C’est pas ça le problème. Te dire que je m’ennuie c’était une façon polie de t’avouer ce qui me tracasse. »

« Eh bien mets-toi en mode impoli alors, parce que là je comprends pas... »

« C’est quand je suis avec toi que je m’ennuie Sarah. Le fait que l’on soit ensemble n’a plus aucun sens. On ne se voit presque jamais, et il n’y a plus cette…sorte de magie qu’il y avait avant… »

« Et ça t’a pris d’un seul coup, comme ça ? Tu t’es réveillé un matin et paf ! C’était fini ? »

« Non pas vraiment, j’ai juste…mis du temps à comprendre. »

« Mais peut-être que tu te trompes, que c’est passager. Peut-être que c’est seulement une impression… »

« Je ne crois pas, Sarah, et je n’ai plus la volonté d’attendre de voir si effectivement je me suis trompé. »

Sur ces mots, il la devança, marchant un brin trop vite, espérant certainement qu’elle ne chercherait pas à le retenir.

Sarah, quant à elle, s’était stoppée net, le regard encore figé par le choc auquel elle venait d’être confrontée. Comment ces trois ans, qu’elle estimait emplis de pur bonheur, pouvaient-ils être réduits à néant en quelques mots ? Pourquoi l’avait-il appelée princesse alors qu’il avait d’ores et déjà en tête de lui dire qu’elle ne représentait plus rien pour lui ? Comment pouvait-il être aussi cruel ?

Elle continua à marcher, et de chaudes larmes vinrent rouler sur ses joues. Son cœur battait fort, trop fort. Elle avait envie de crier, d’hurler à qui voudrait l’entendre que la vie est injuste et que les choses ne devraient pas marcher comme ça. Elle désirait pouvoir LE haïr mais savait très bien qu’elle en était incapable. Elle se sentait perdue, abandonnée, trahie, rejetée. Son petit monde, dont les engrenages semblaient si parfaits, devait faire face à une sérieuse panne, une sorte de blocage complexe, jamais rencontré auparavant. Un blocage néanmoins douloureux, c’était la seule chose dont elle était certaine, à ce moment précis.

Elle aurait voulu rester là, assise sur le trottoir de sa rue tranquille, à se demander pourquoi et à pleurer jusqu’à la déshydratation, mais était-ce vraiment une solution ?

Ne pouvait-elle pas accorder quelques heures de répit à son esprit tourmenté ?

Ne pouvait-elle pas, pour une fois, faire semblant d’être profondément absorbée par les propos de ces satanés profs ?

Le lycée n’était plus qu’à quelques centaines de mètres.

La traversée de la grande cour fut pour elle une épreuve. Tous ces gens qui parlaient et qui souriaient… ils lui semblaient loin, très loin, l’abandonnant dans sa propre bulle, seule, et triste.

Elle dû se concentrer pour se remémorer son emploi du temps. Aujourd’hui, c’était mercredi, ce qui veut dire Français en première heure, Salle 1020.

Sarah rejoignit ladite salle. Certains élèves étaient déjà installés, ainsi que Mr. Simmons. La jeune fille déposa son sac sur une table, au premier rang, on ne peut plus en face du bureau délabré. Elle ne put s’empêcher de sourire devant l’expression béate de son professeur, qui, les yeux écarquillés, devait se demander s’il ne rêvait pas.

Le cours commença quelques minutes plus tard, et jamais auparavant Sarah n’avait trouvé d’intérêt à ce bouquin immonde signé Le Clezio.
Son attitude attentive et presque passionnée semblait sérieusement inquiéter Simmons.

A la fin du cours, Sarah rangea ses affaires et s’apprêta à quitter la salle. Avant cela, elle fut interrompue par Simmons.

« C’était très bien aujourd’hui, mademoiselle Guérin. »

La jeune fille leva les yeux au Ciel.
« Ne vous attendez pas à ce que cela dure, Monsieur Simmons. »

Et puis elle sortit.
Elle devait désormais se rendre salle 3014, pour son cours de philosophie. Au moins, cette fois, elle n’aurait pas à se forcer pour rester attentive.
Le cours commençait a priori dans dix minutes, ce qui lui laissait le temps de marcher à son rythme jusqu’au troisième étage.

Seulement elle croisa son regard. Elle se figea. Elle devait lui demander concrètement pourquoi. Pourquoi s’ennuyait-il ? Qu’avait-elle fait de mal ?

Jake essaya de faire demi-tour mais Sarah le saisit par le bras.

« Quoi ? », demanda-t-il, un brin d’agressivité dans la voix.

« J’ai besoin de savoir pourquoi… »

« Je te l’ai déjà dit, non ? »

« Ce que tu m’as dit ne veux rien dire ! On ne quitte pas quelqu’un parce que l’on s’ennuie ! »

« Et pourtant… »

« Sérieusement, c’est la première fois que quelque chose semble ne pas aller entre nous, et du coup tu abandonnes ? Tu peux laisser ces trois ans derrière toi, comme ça, sans remords ? »

Sarah pleurait à nouveau, ignorant le nombre grandissant de personnes rassemblées autour d’eux.
Elle ne put cependant pas ignorer cette grande blonde, perchée sur de hauts talons, des lèvres rouges recouvrant son sourire en plastique, et des yeux bleus perçants, brillants de mépris et de défit.
Ladite blonde se fraya un chemin parmi les spectateurs agglutinés dans le couloir, et vint passer son bras autour des épaules de Jake, celui-ci ne bronchant pas.

« Bah écoute, cocotte, c’est peut-être qu’il a trouvé mieux ailleurs… Et fais-moi confiance, dans ce genre de cas, le temps n’a absolument aucune importance, pas vrai Jaky ? »

Jake arborait une expression neutre, balancé entre le sourire vainqueur de Barbie, et la douleur dans les yeux de Sarah.

Il n’en fallut pas moins à cette dernière pour décamper sur le champ, outrepassant totalement les railleries des malheureux qu’elle bousculait sur son passage.

La salle 3014 était déjà ouverte, bien que Mr. Duerf ne soit pas encore arrivé.

Sarah balança son sac, et pris sa tête dans ses mains, sanglotant contre sa volonté.
C’était donc à mille lieux de ce qu’elle avait pu penser. Comment avait-il osé ? Est-ce que Barbie disait vrai ? Si ce n’était pas le cas, pourquoi n’avait-il rien rétorqué ?

Sarah ne pouvait lutter contre le flux assaillant de toutes ces questions, qui resteraient probablement sans réponse.

Le disgracieux « Driiing » marquant le début du cours rappela à la jeune fille que le monde ne s’était pas arrêté de tourner lorsque son cœur s’était brisé.

Elle ramassa son sac, et s’installa correctement à une table, toujours au premier rang.

Puis ce fut l’arrivée successive des élèves de sa classe, ayant presque tous assisté à sa récente humiliation. Certains lui adressaient des regards plein de compassion, d’autres ne savaient retenir leur sourire moqueur. Mais aucun d’eux ne parvint à décrocher cette mine figée et blanche du visage de Sarah.

Enfin, Mr. Duerf entra à son tour, et adressa un sourire courtois à la jeune fille. Elle ne fit même pas l’effort de répondre à cette petite attention.

Descartes et son doute méthodique arrivèrent tout de même à attirer l’attention de Sarah.
Nos sens nous trompent, il faut tout remettre en question, même ce qui nous paraît le plus sûr et le plus indubitable.
En somme, c’était une façon de dire que les apparences sont trompeuses, qu’il faut se fier à des éléments rationnels, et non à cette stupide petite chose molle qui nous sert de cœur.

La fin du cours ne se fit pas attendre, et il fut temps pour chacun de partir en pause déjeuner.
Déjeuner ? Elle n’avait pas faim, à quoi cela lui servait-il de manger ?

A la place, elle s’assit le long du mur, et sortit son carnet, et commença à dessiner. Ses dessins ne représentaient jamais de choses concrètes, ils se résumaient à des formes diverses, articulées les unes aux autres, faisant ressembler le tout à un grossier mandala.
Ce n’était ni artistique, ni utile, mais cela lui permettait de laisser s’exprimer ses émotions.
Elle faisait cela lorsqu’elle ne pouvait pas écrire, car sa vraie source d’apaisement se trouvait dans l’écriture. Jamais de longues choses, simplement quelques phrases, quelques rimes, quelques pages.

Mais aujourd’hui, même de simples mots n’arrivaient pas à s’échapper du bunker qu’était devenu son esprit…
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Hey, premier chapitre de cette histoire. Un peu chiant et descriptif, non ? Mais peut être est-ce nécessaire pour poser les 'bases' de l'histoire...
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